phénoménologie de la maille

Ce que je trouve formidable avec le tricot, c'est que trente ans après, je continue d'apprendre. Il est question, encore et toujours, d'agencement de couleurs, de motifs, mais également de technique. Et c'est proprement fascinant.

Mais ce qui est encore plus formidable, je trouve, c'est que tout cela se fait avec, quoi ? un fil, deux bouts de bois en guise d'aiguilles (je me souviens qu'en 6ème, j'apprenais à tricoter aux autres, dans la cour du collège, avec des mikado, faute de mieux), allez, je vous concède un deuxième fil pour pouvoir se lancer dans le jacquard (on parlera motifs à mailles glissées un autre jour).

Et puis voilà, c'est tout. Enrouler le fil, dérouler le fil. Le passer devant, le repasser derrière, croiser les fils, compter jusqu'à ne plus en avoir besoin tant le motif est sous les doigts. C'est tout. Et c'est tellement. Trente ans après, je continue de trouver chaque boucle qui se forme devant moi fascinante. Je trouve que "faire tomber la maille" est autre chose qu'un banal geste : on la fait tomber, et elle existe. Elle est là, vivant son existence propre et si on n'est pas pour rien dans son apparition, on y est dès lors plus pour grand chose. Fascinant, je vous dis. 


Surtout à recommencer indéfiniment cette première fois. Parce que tout à coup, chaque maille existe, certes, mais un motif existe aussi, avec sa vie propre, son agencement d'une multitude de maille qui ne peut être là que parce qu'il y a celle d'à-côté, et de l'autre côté. Et au dessus, en dessous et celle qu'on ne voit pas, diamétralement située.

une maille existe seule et n'existe pas seule. Et ça la rend profondément humaine.

Parfois, on me demande si je ne me lasse pas. Et bien non. Jamais. C'est de pire en pire même je crois. Je tire un profond contentement à revivre encore et encore cette expérience. 


Surtout quand la technique s'en mêle. Alors là, on ajoute le frisson de la découverte, de la complexité et la petite suée parfois. C'est le cas avec le "steek" (suée garantie). Le steek, c'est une formidable trouvaille des scandinaves et autres nordistes (technique présentes dans les Fair Isles, par exemple) et qui permet, au moment d'une encolure ou d'emmanchures, de continuer de travailler en rond sur le pull. Mais pourquoi donc vouloir tourner comme ça ? 


Déjà, pour être précise, il faudrait plutôt dire qu'on tricote en spirale. Sinon, on referait indéfiniment le même rang, et alors, il serait très simple d'attribuer cette technique à Sisyphe, qui, par ailleurs, irait nue faute d'avoir jamais pu finir un pull. 

On tricote en spirale donc, et le premier bénéfice qu'on en tire : c'est qu'il n'y a pas de couture !!!! Qui a déjà tricoté un peu se souvient mélancoliquement de ce pull jamais monté qui traîne dans un tiroir parce qu'il faudrait le coudre. 


L'autre avantage, c'est qu'on peut faire des rayures de rangs impairs. Bah oui, comme on revient au même endroit, on peut prendre un autre fil pour réattaquer son rang. Alors que quand on tricote en aller-retour, si l'on veut faire des rayures impaires, il faut couper le fil et le remettre au bon endroit. Et ça, vous savez ce que ça veut dire ? Oui, tout à fait : beaucoup, beaucoup de fils à rentrer à la fin. Qui a déjà tricoté un peu se souvient avec mélancolie de ce pull, monté mais jamais fini et qui traîne dans un tiroir parce qu'il faudrait rentrer les fils...


 

Le troisième avantage (et le dernier pour moi ; il y en a peut-être d'autres, mais ils ne me viennent pas en tête), c'est la régularité du tricot. En effet, quand on tricote à l'endroit et quand on tricote à l'envers, on n'a pas tout à fait la même tension dans le fil. Pourquoi, je ne sais pas bien, je pense que cela tient à la manière dont le fil circule entre les doigts, à la façon dont se crée la boucle autour de l'aiguille. En tout cas, il y a une différence, même minime, entre endroit et envers. Et si ça n'est pas grave, vu que cela disparaît au blocage de l'ouvrage, ça ne satisfait pas du tout la névrosée obsessionnelle qui sommeille en moi (et en toute tricoteuse, même si elles ne l'avouent pas de bon gré). 

Mais alors, comment faire quand on arrive aux emmanchures ? à l'encolure ? Je vois que maintenant vous saisissez l'importance d'une solution technique qui apaise les doutes et les souffrances. Et bien, on fait des steek ! 


Et pour les explications techniques, bah en fait, je vous les raconterai une prochaine fois. Déjà parce que j'ai un tricot sur le feu, et qu'en plus, ce post est trop long et qu'enfin, j'ai la flemme. 



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