tu me diras, c'est mieux que de boucler pendant le carême...

Janvier a ouvert une faille, un pont temporel entre 2019 et 2020 qui n'en finit pas de béer et de se distordre.
Parce que si l'on s'en souvient bien, l'idée, c'était d'en finir avec 2019 et son lot de crasse, peurs et emmerdements à répétition. C'était de marquer le tournant, an zéro et nouvelle décennie. Recommencer à neuf.
Et c'est peut-être ça qui a foiré : recommencer à neuf... pas étonnant que 2019 ait décidé de remettre le couvert !
Une boucle temporelle, un incessant recommencement et le cerveau pas au repos.

Besoin de preuves ? De test en double-aveugle et de réplications en éprouvette ? Je pourrais bien sûr vous parler de tout un système moribond, non pas victime de sa belle mort mais d'un assassinat (dit la puce). Je pourrais vous parler virus couronné et macchabées. Mais je vais vous parler chaussettes, preuve ultime s'il en est.

Fin décembre, je suis tombée sur une perle d'internet : un tour du monde en 26 paires de chaussettes, motifs traditionnels et un peu d'histoire à chaque fois. Des techniques nouvelles (pour moi), un voyage sans quitter son canapé et plein, plein de couleurs à marier improbablement. Le paradis !
Adepte des rituels et des contraintes (que je ne tiens jamais, ni les uns, ni les autres), je m'étais lancée dans une entreprise de grande ampleur : une paire de chaussette par mois, ça devrait me tenir un bout de temps (26 mois, quoi). Et puis, à faire dans l'ordre, tant qu'à.



 Ma première étape franchit donc la forêt noire pour aller gambader dans les alpages allemands. Formidable, moi qui n'y ai jamais mis les pieds !
On est mi-janvier, c'est parfait : je compte une dizaine de jours pour une paire de chaussette. Rarement plus, souvent moins.





Et là, il faut bien faire ce constat accablant : on est fin mars, et j'en suis toujours aux chaussettes de janvier !!!!!!!!!!!!!!! Je vous le dis, on est tombé dans une faille spatio-temporelle, une boucle, pas même une spirale !


D'abord, faut bien avouer que les allemandes, elles tricotent serré et technique. C'est beau ces toutes petites torsades d'une maille, sur des aiguilles 2,25. C'est beau mais putain que c'est long à faire ! Et puis, pour compliquer le tout, elles sont un coup dans un sens, un coup dans l'autre... pas de quoi faciliter la tâche.
Certes. Et certes, me direz-vous, je me cherche des excuses.
Mais voyez : fin mars et toujours pas finies. Pire même, à recommencer ! Encore !



Parce qu'il y a eu la première chaussette : recommencée une fois à cause d'une torsade mal embouchée. Puis il y a eu la deuxième chaussette, tricotée à l'identique de la première en oubliant d'inverser les motifs. Hop, encore confiante (naïve ?) je défais et je recommence. Et là, la panne de fil : les dernières pelotes du bain, toutes mes nouvelles sont légèrement plus claires. Je m'en rends compte trop tard, forcément, alors que j'ai déjà fait plusieurs centimètres (= plusieurs heures de travail). Je redéfais, décide de mettre un peu de blanc.
Ce qui veut dire défaire la pointe de la première chaussette, pour récupérer un peu de vert et faire aussi la rayure blanche. Donc, je redefais, la deuxième chaussette, mais aussi la première. Puis je reprends la deuxième chaussette (vous suivez ? ça boucle, je vous dis !).
Je finis la deuxième chaussette, plutôt pas trop péniblement, ça y-est, que je me dis, on est enfin reparti, enfin en mouvement, il ne sera pas dit que ces chaussettes ne seront pas finies pour fin mars !
Dans ma lancée, enthousiaste et obstinée, je reprends la première chaussette que j'achève aussi.
On est le 27 mars, j'y crois encore. Je prends mon aiguille à coudre, passe dans les 8 dernières mailles, c'est bon, j'y suis, le sort est conjuré !

Précaution d'usage, j'essaie les chaussettes. L'une est un peu grande, c'est normal, j'ai fait du 39-40. Tout va bien. J'enfile la deuxième et là... pourquoi ce talon qui pendouille ? pourquoi cette pointe qui fuit mes orteils ? pourquoi cette tige qui plisse ?

Le monde s'écroule alors (en toute mesure) : il faut bien que je me rende à l'évidence : j'ai utilisé des aiguilles 2,5 au lieu de 2,25 pour l'une des chaussettes. Comprenez-vous ce que cela veut dire ? Il faut... défaire ! Il faut recommencer ! Refaire la chaussette entière.
On est le 28 mars, je regarde cette chaussette qui traîne lamentablement dans mon panier à ouvrage, les fils déjà rentrés. La désillusion s'abat sur mes épaules : il faut tout défaire et recommencer, mais ce n'est pas ça le pire. Le pire, c'est que janvier n'est toujours pas terminé. C'est que le temps boucle. Ce grand projet - chaussettes au fil du temps qui passe - laisse un constat amer : le temps ne passe pas et la volonté ne fait rien à l'affaire.


Ma seule consolation, c'est que janvier c'est la période des galettes des rois.

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